Un jour. Un texte.

Embellir le quotidien, c'est juste prendre le temps de l'écrire.
"Le vrai écrivain n'est pas celui qui raconte des histoires mais celui qui se raconte dans l'histoire. La sienne et celle, plus vaste, du monde dans lequel il vit." - Philippe Roth.


9 juil. 2010

Bla. Bla. Bla. - #7

Il s’ennuie. Les diverses voix parlent sérieusement d’abréviations techniques et de trucs à la con. Leurs propriétaires pensent au salaire généreux et éphémère qui s’installera sur leur compte en banque à la fin du mois. Devenant berceuse, elles s’entremêlent et s’accrochent doucement à ses cils pour tirer ses paupières comme un rideau sur ses globes oculaires. Son menton se rapproche à folle allure de sa pomme d’Adam, il devient Eve et veut la croquer à pleine dent. La morsure douloureuse le fait sursauter, ses oreilles captent à nouveau les voix narcoleptiques qui usent de civilités hypocrites pour que les briques qu’ils vont entasser les unes sur les autres leur rapporte les quelques miettes de plus espérées à la fin de l’année qu’elles n’auront pas méritées. Il ne veut pas courir après ces miettes, lui, il veut réussir à chiper la miche de pain toute entière. Mais ses rêves se fracassent toujours durement à la réalité et il finit avec le ventre vide. D’ailleurs son ventre gargouille au moment où son rendez vous se libère enfin et peut le recevoir. Gêné, il se ressaisit vite, se répétant inlassablement la phrase fétiche. A table.

#6

Posté sur les hauteurs d’un échafaudage, je domine la foule parisienne. Je roucoule de tout mon orgueil avant de prendre mon envol, souillant au passage la blouse bleue d’un ouvrier fatigué. J’épie les riches assoiffés assis à la terrasse d’un café, frôle le cuir chevelu d’une femme décrépie par les années et atterrit là, dans cet havre artificiel qui veut donner la sensation d’ailleurs. Les hommes veulent toujours tricher. C’est bientôt l’heure du repas. Je m’approche d’une presque vieille femme qui semble s’ennuyer. Je lui adresse un roucoulement délicat, auquel elle répond par une miette de son sandwich. Puis une autre, et une autre. A chaque petit bout de pain, je lui montre ma gratitude par une envolée lyrique – et pigeonnesque. Elle me parle, comme si je pouvais comprendre. « Viens par ici, viens. Oui c’est bien, t’as drôlement faim dis donc ». Le pigeon serait-il apprivoisé ? Non, juste affamé. Une jeune fille assise près d’elle, étouffe un rire moqueur, pendant qu’une autre ne se soucie pas de la scène, trop occupée à se tapoter les genoux et à agiter la tête au rythme de la musique qui s’échappe de ses écouteurs, puis à se remaquiller dans le reflet de son miroir rose. Un perfecto en faux cuir bleu passe, et je regrette mon état primitif – naturel. La fille de tout à l’heure se met à chanter – faux – pensant que personne ne l’entend. J’augmente mes décibels roucoulantes afin de lui signifier qu’elle me dérange, avec ses fausses notes. Voyant que ma technique est inefficace, je m’éloigne et surprend alors la complainte d’une quadragénaire en crise. « j’ai dormi que 4h, mon dieu les bouffées de chaleur, quelle horreur, c’matin c’était un peu dur quand même ». Ouais, et bien moi, j’ai un moignon à la place de ma patte gauche, faudrait qu’ils arrêtent de se plaindre, ces êtres humains. Je vais voler un peu plus loin, admire un grain de beauté au coin du nez, fait tomber de mon battement d’ailes une petite fleur dans les cheveux d’une ravissante jeune femme. Une mamie toute de violet vêtue, porte une visière bleue, sur laquelle je laisse ma trace. Je vole, loin, loin, pour enfin me poser dans ce parc que j’affectionne tant. Des gens par dizaine, et toute leur nourriture gaspillée pendant les beaux jours. Le bonheur. Une jeune fille est assise sur les chaises aluminées de Luxembourg, seule. Une larme s’apprête à rouler le long de sa joue mais elle l’en empêche, psalmaudiant contre le vent qui fait couler son maquillage et dérange ses cheveux. Dans sa solitude émerveillée, enfumée d’une cigarette, je viens la déranger de mon chant. Un coup de pied. « Dégage ». Malgré sa beauté, son langage peu châtié lui sied mal. Je m’en vais alors, signifiant mon mépris par une souillure roucoulante déposée à ses pieds.