Un jour. Un texte.

Embellir le quotidien, c'est juste prendre le temps de l'écrire.
"Le vrai écrivain n'est pas celui qui raconte des histoires mais celui qui se raconte dans l'histoire. La sienne et celle, plus vaste, du monde dans lequel il vit." - Philippe Roth.


15 juin 2010

Qui suis-je ? #5

Fleur de tissu synthétique, je suis posée sur ton bureau. Mon violet violent attire ton regard. Violet. Violent. Viol. Vol. Volant. Objet tournoyant dans les airs lorsque tu me saisis et me déploies. Je fais onduler les reflets de lumière artificielle de ton plafonnier. Néon. Cette articulation mécanique provoque en toi des fantasmes de désarticulation. Mes membres inanimés réveillent tes délires arachnophobes. Un mouvement de poignet, et me voilà rabattu, rapidement, brusquement, comme un instinct de survie. Replié je me protège, déplié je te protège. Tu me fais danser au rythme de tes mouvement d’avant-bras et m’approche de ton visage. Tu respires mon odeur de plastique chimique qui te donne mal au crâne. J’empeste l’humain et sa toute puissance industrielle. Les pétales imaginés de cette fleur apprivoisée se resserrent à l’aide d’un bout de scratch agressif et rugueux. Amusée, tu veux jouer encore avec ce mécanisme intelligent, et à nouveau contempler le déploiement de mes ailes. Tu tire sur ce petit bout de scratch, collé à un autre. Lorsque les deux se séparent résonne la complainte crépitante à l’approche de l’absence déchirante imminente. Ce pan de tissu fonctionnel, si utile puis inutile et laid lorsque je m’ouvre, te dégoûtes. Je tourne une dernière fois, tu danse encore avec moi malgré le malheur que je suis censé apporter de par ma réputation. Puis, lassée, tu m’enferme une nouvelle fois dans ma propre peau de tissu, avant de me cacher dans mon écrin portatif. Ainsi, je suis relégué au fond de ton armoire, chassé par les beaux jours. Oublié, tu ne penseras à moi qu’à l’automne, lors du retour des gros nuages gris et des leurs larmes vachaires.

14 juin 2010

Plutôt putain que prude. #4

Une fille. Sa peau laiteuse. Ses grands yeux sombres. Sa bouche pulpeuse.
Elle l’observe, imagine la cambrure de ses reins sous la paume de ses mains. Elle ferme les yeux, respire doucement. Tente de chasser les folles idées qui agitent son esprit. L’imagination lui joue parfois des tours. Elle la maudit en silence, s'efforçant de détacher ses yeux de la jeune femme assise en face d’elle. Elle dévisage ses pieds, le sol crasseux de la gare. Une voix efféminée annonce l’arrivée en quai de son train qui avait pris du retard. Elle se lève, en même temps que cette fille, qu'elle frôle au passage. Elle la suit, épiant le wagon qu’elle choisit, et se force à ne pas monter dans le même. Durant tout le trajet, elle se concentre avec acharnement sur le livre dont elle ne comprend plus les mots qu’à moitié. Elle ne peut s’enlever son image de la tête.
Arrivée à destination, elle descend lentement de la rame, bousculée par une nuée d’hommes et de femmes pressées. Elle la voit, au loin, avancer tranquillement au milieu de la foule. Elle presse le pas, passe à côté d’elle. Irrésistiblement, au bout de quelques secondes, elle se retourne. Leurs regards se croisent, elle se dérobe, sentant une rougeur monter le long de son décolleté jusqu’à ses oreilles. Elle se sent soudain observée. Elle se tourne à nouveau, et se fait surprendre par le regard ferme de la jeune fille. Une lueur de défi, teintée d’un amusement insolent fait briller ses prunelles. Elle reste plantée là, paralysée, ne comprenant pas ce qui est en train de se passer. La fille passe le long de son bras, en douceur, et continue son chemin. Au loin, elle surprend l‘insulte d‘un petit gamin effronté lancée au visage de celle-ci. Et la voix de la fille, suave et sucrée, répondre avec fierté : plutôt putain que prude.

12 juin 2010

Hors-sujet. Ou litanie d'un pauv'clodo - du côté d'chez Rika.

Elle a pas voulu d’moi Ginette cette salope quelle salope. Elle est grosse la québécoise, allez voir sur internet vous verrez que c’est Rika la plus belle. Elle, elle est moche. Et grosse. Les femmes, ça m’énerve les femmes.
Madame, vous êtes lesbienne ?
Oh c’est juste une question… philosophique !
Maintenant les femmes sont toutes lesbiennes. J’en ai marre des femmes. Ou sinon vous êtes bi. Moi j’préfère les garçons.

Oh les beaux garçons !

Ils sont beaux ces garçons. Les surfeurs. Ils sont passés maintenant vous pouvez repartir.

C’est le raid israélien.
Ils sont plus en pantalon ils ont des pyjamas. Ils sont plus en pantalon ils ont des pyjamas. Ils sont plus en pantalon ils ont des pyjamas. Ils en parlent partout. Paris Match.
Et vous avez vu Sarkozy ? Et y’a Fillon aussi.

Oh arrêtez j’aime pas la violence.

Tu m’as dépouillé toi ! Saint Bernard ! Non j’suis pas un menteur. Je t’encule moi ! Heureusement que tu t’es pas fait enculer. En ce moment je t’offense.

Bon, j’vais voir ailleurs moi. Peut-être du côté d’chez Rika.

Pot & cie dans le bus. #3

Je tourne en rond. Rond point.
La musique résonne dans mes oreilles, je ferme les yeux. La chanson devient mienne.

Je suis une star montante, une étoile filante.

Je m’élance à toute allure sur le bitume dépassant les limitations de vitesse.

Quelle heure est-il ? - ai-je demandé avec paresse.

« Mais non il est 17h63, ça veut dire qu’il est 18h03. Mais si c’est possible, je le dis, crois moi ! »

Ma voix s’élève sur cette musique dissonante. Toujours l’étoile filante.

Une prière. La croix tombe de son chapelet. Mes collants s’effilent.

Sans père, une fille de joie à la vie dissolue, diluée - défile.

Loin d’être une religieuse. Mante. Mangeuse. D’hommes. Croqueuse. Ou bien croque-mort.

Knock knock knocking on heaven's door.

Déformation. Les mots tournent en rond. Comme un poisson.

Saviez-vous qu’un miroir dans le bocal d’un poisson rouge et le poisson meurt d’un orgasme, trop forte jouissance inconnue de s’être vu ?

Peut-être Narcisse a-t-il jouit ?

Je tourne en rond la Terre tourne la Terre est ronde ma tête tourne je n’suis plus d’ce monde.

L’étoile est devenue géante rouge. Comme le soleil elle brûle. En apesanteur et plus rien ne bouge. Elle et l’univers copulent.

Elle va tout détruire sur son passage. Mais pour l’instant je tourne en rond.
Rond point. Passage. Piéton.

11 juin 2010

Meurtre dans la cuisine. #2

Je suis assise, là, sur ce petit bout d’herbe dans mon grand jardin. De petits nuages rondouillards protègent ma peau diaphane du violent soleil. Un café, une cigarette. Des dents pas encore jaunies par le tabac, et déjà quelques rides d’expression. Je penche la tête en arrière et souris. Inspire, expire, éternue. Saleté de rhume des foins. Mon thé à la cerise est trop sucré et le vrombissement d’une abeille me gratte les oreilles. Tout ne peut jamais être idyllique. Je me lève furieuse, entre dans la maison. L’abeille me suit jusque dans la cuisine. Mon cœur bat de plus en plus vite, au rythme de son bruit insupportable. Irritable que j’étais, je suis très irritée, par l’inconvenance de cette insignifiante bestiole. Me précipitant sur un torchon, l’arme du crime, je fais tomber quelques pièces de monnaie. Un bruit de clochette tinte - comme les cloches du jugement dernier. Le bourdonnement s’est tu. Le silence assourdissant m’hypnotise et je retourne à ma retraire exilée dans l'illusion de la nature, admirant le champ de coquelicots qui s’illumine du sang de ma victime.

Nue. #1

Cette fille est nue, au milieu de la foule.
Cette horde parisienne qui se presse et s’empresse passe le regard dans le vide sans même la voir. Les deux pieds campés dans le sol, elle se sent comme une enfant en pyjama dans la cour de l’école. Cette angoisse puérile qui se révèle en plein sommeil, elle la ressent si profondément, là, devant la masse infinie de plumes, d’hommes d’affaire, de portables, de cheveux blancs, de lunettes, de barbes rousses, de doubles mentons, de foulards violets, d’oreilles, de sacs et de nez.
La chaleur effleure sa peau, elle est fauve. Et très jolie. Une tâche brunâtre dans le creux de sa nuque, ronde comme un ballon. Un ballon qui s’envole, et explose. Le réveil est brutal, elle n’est plus en pyjama, mais dans sa solitude déshabillée en plein milieu des escaliers. A côté d’elle, une barrière, un panneau rouge "attention risque de chute". Comme un signe, les restes du ballon déchiqueté retombent sur le sol. Un lent mouvement de vent, un peu comme on respire, les fait virevolter encore un instant. Dans sa course, un homme la remarque et trébuche. Il devient tout à coup sérieux, s’arrête à quelques pas d’elle, se frotte le front puis regarde sa montre. Un soupir, un échange et le voilà qui s’engouffre à nouveau dans la bouche de métro. Maladresse, il est revenu sur ses pas, parti dans la mauvaise direction. Plus tard, une jeune coquette rouge, une vraie œuvre d’art, se poste devant elle. Elle se tourne les pouces, s’ennuie, cligne des yeux puis s’en va, dépliant son éventail, pleine de grâce. Un homme en tailleur, avec un foulard rouge dans la poche de sa veste bleue marine, tripote le stylo qu’il tient dans sa main gauche en murmurant sa litanie.
Un bras, une veste, une main, des bouts de corps oubliés passent en vacarme, pendant que pèse de tout son poids silencieux la nudité dévoilée.
Une femme soudain, s’arrête avec surprise, un grand sourire au creux des joues. Elle réajuste ses lunettes, sur son bout de nez crochu, puis pointe timidement le bout de son index contre l’épaule de la jeune femme."oh, mais j’ai cru que la demoiselle était un mannequin !".
A cela, sans un mot, elle ajoute sa chemise tendue à bout de bras, qu’elle vient d’ôter délicatement de sous son gilet ouvert.
Une chemise blanche de pureté, recouvre bientôt la jeune farouche qui n’est plus dévoilée.