Un jour. Un texte.

Embellir le quotidien, c'est juste prendre le temps de l'écrire.
"Le vrai écrivain n'est pas celui qui raconte des histoires mais celui qui se raconte dans l'histoire. La sienne et celle, plus vaste, du monde dans lequel il vit." - Philippe Roth.


11 juin 2010

Nue. #1

Cette fille est nue, au milieu de la foule.
Cette horde parisienne qui se presse et s’empresse passe le regard dans le vide sans même la voir. Les deux pieds campés dans le sol, elle se sent comme une enfant en pyjama dans la cour de l’école. Cette angoisse puérile qui se révèle en plein sommeil, elle la ressent si profondément, là, devant la masse infinie de plumes, d’hommes d’affaire, de portables, de cheveux blancs, de lunettes, de barbes rousses, de doubles mentons, de foulards violets, d’oreilles, de sacs et de nez.
La chaleur effleure sa peau, elle est fauve. Et très jolie. Une tâche brunâtre dans le creux de sa nuque, ronde comme un ballon. Un ballon qui s’envole, et explose. Le réveil est brutal, elle n’est plus en pyjama, mais dans sa solitude déshabillée en plein milieu des escaliers. A côté d’elle, une barrière, un panneau rouge "attention risque de chute". Comme un signe, les restes du ballon déchiqueté retombent sur le sol. Un lent mouvement de vent, un peu comme on respire, les fait virevolter encore un instant. Dans sa course, un homme la remarque et trébuche. Il devient tout à coup sérieux, s’arrête à quelques pas d’elle, se frotte le front puis regarde sa montre. Un soupir, un échange et le voilà qui s’engouffre à nouveau dans la bouche de métro. Maladresse, il est revenu sur ses pas, parti dans la mauvaise direction. Plus tard, une jeune coquette rouge, une vraie œuvre d’art, se poste devant elle. Elle se tourne les pouces, s’ennuie, cligne des yeux puis s’en va, dépliant son éventail, pleine de grâce. Un homme en tailleur, avec un foulard rouge dans la poche de sa veste bleue marine, tripote le stylo qu’il tient dans sa main gauche en murmurant sa litanie.
Un bras, une veste, une main, des bouts de corps oubliés passent en vacarme, pendant que pèse de tout son poids silencieux la nudité dévoilée.
Une femme soudain, s’arrête avec surprise, un grand sourire au creux des joues. Elle réajuste ses lunettes, sur son bout de nez crochu, puis pointe timidement le bout de son index contre l’épaule de la jeune femme."oh, mais j’ai cru que la demoiselle était un mannequin !".
A cela, sans un mot, elle ajoute sa chemise tendue à bout de bras, qu’elle vient d’ôter délicatement de sous son gilet ouvert.
Une chemise blanche de pureté, recouvre bientôt la jeune farouche qui n’est plus dévoilée.