Un jour. Un texte.

Embellir le quotidien, c'est juste prendre le temps de l'écrire.
"Le vrai écrivain n'est pas celui qui raconte des histoires mais celui qui se raconte dans l'histoire. La sienne et celle, plus vaste, du monde dans lequel il vit." - Philippe Roth.


18 févr. 2011

#17

Il la regardait, son visage pâle, les yeux mis-clos, un goutte de sueur froide glissant le long de sa tempe jusqu'à son cou. Sa bouche entre ouverte, elle inspirait fort, difficilement. Il la serrait fort contre lui, essayant de calmer les tremblements de son corps fiévreux. Elle était à lui, sa petite chose malade. Elle paraissait si forte dehors, si courageuse et déterminée. Mais quand elle rentrait chez eux, la fatigue d'avoir fait tant d'effort pour cacher sa faiblesse la saisissait, et elle était à nouveau ce petit être fragile qu'il avait pour mission de protéger. Il se sentait si puissant, si brave, quand il la tenait contre lui la nuit, il adorait le goût de médicament qu'elle avait sur la langue quand il l'embrassait. Il aimait la gronder quand elle avait oublier de prendre ses cachets, il aimait lui rappeler son rendez-vous chez le médecin. Il sentait son corps brûlant de fièvre, la nuit, tout près de lui, et il l'aimait, tellement fort. Personne n'avait le droit de la voir vraiment comme elle était, elle, sa fièvre, sa toux, et ses vertiges. Personne sauf lui. Lui et lui seul avait ce privilège, il n'y avait que lui qui pouvait s'occuper d'elle, la protéger de ces méchants virus.
Mais aujourd'hui, plus personne n'a besoin de lui, et ce bip strident et continu sonne le glas de sa solitude.

10 févr. 2011

Nina - #16

De son sixième étage, accoudé au balcon, il contemplait la foule qui déambulait dans la rue; il souriait en pensant à Nina.
Nina, sa nouvelle collègue, qui travaillait à l’étage du dessus, qui lui avait fait un grand sourire ce matin quand ils s’étaient croisés dans les escaliers. Nina, qu’il imaginait déjà à quatre pattes sous son bureau. Mais ça il ne faut pas le dire. Sa pensée dépasse parfois les convenances. Cette Nina, si merveilleuse, qui faisait tourner la tête de tout les hommes. Mais c’était à lui, à lui qu’elle avait sourit. Il allait la mettre dans son lit, c’était certain. Plus tard, devant la machine à café, elle lui avait touché le bras, avec ce sourire encore, ce sourire fabuleux qu’elle n’adressait qu’à lui.
Oui, mais oui. A présent, il était convaincu d’avoir raison.

Bonnet - #15

Dans le métro, un bonnet sur la tête. Tourne la tête. Sous le bonnet, pas mal.
Dans ma rue, à la lumière des lampadaires. Vraiment pas mal.
Dans sa rue, perpendiculaire à la mienne, espionne le bonnet. Se retenant d’observer le numéro d’immeuble, toujours la même appréciation. Et en plus, nous sommes voisins.
Passant devant ma porte, un matin, il n’y plus de bonnet. Plus de long manteau non plus, pour cacher l’attirail. Pas mal. Et quel bonheur que le printemps.
Posté devant ma porte, à m’attendre, une fin d’après midi, une voix, un bonjour. Un baiser, une étreinte. Quelques mots échangés.
Pas devant la porte des voisins.
Les escaliers deux à deux, quatre à quatre si l’on pouvait. Juste le temps de fermer le verrou à double tour et un soupir.
Pas mal.
Sur le pas de la porte, un regard triste, et trois mots.


Je déménage demain.

Habiter La Mémoire - #14

Aujourd’hui, elle s’est souvenue d’un vieux rêve. Un rêve d’escaliers en colimaçon qui ne finissent jamais, qu’il faut monter sans cesse, sans jamais apercevoir le dernier étage.
Aujourd’hui, le délire d’une fièvre intense fait se retourner son cerveau dans sa boîte crânienne, un vertige, et elle redescend les escaliers, son corps entier roulant sur le flot de béton, sous le bruit fracassant de sa tête cognant lourdement sur chaque marche.
Aujourd’hui, les sursauts sont revenus, le cœur s’est remit à tambouriner, ses poumons s’échauffent d’un souffle irrégulier. Le sentiment de l’impossible qui se réalise, mais que la réalité rattrapera, et mettra sur le carreau.
Aujourd’hui, oublier encore de surveiller ces mots insolents, qui ne connaissent pas la décence, le politiquement correct. Et s’en foutre.
Parce qu’aujourd’hui, en rentrant dans le froid, dans la nuit, c’est l’hypocrisie qui surgit dans une bouche de métro pour lui rappeler qu’elle ne veut pas lui ressembler.

2 déc. 2010

Hors-sujet ou Quand on préfère les mots des autres.

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo.

15 nov. 2010

#13

Je voudrais que mon cerveau tombe de ses hauteurs et se liquéfie, là, sur le sol.

Je cherche, fouille dans tous les recoins de ma petite tête. J’essaye même d’ouvrir un dictionnaire mais les lettres se mélangent et je ne lis rien qu’un amas de syllabes dénuées de sens. Mes doigts caressent le clavier, mes yeux fixent cette blancheur éclatante. Des images, des sons, des bouts de phrases se bousculent, une sorte de murmure incessant m’irrite les oreilles, un cri perçant s’en détache, d’abord comme un sifflement, qui s’amplifie, s’amplifie encore. Je me lève, me rassoit, me lève encore, ne sait pas où aller, ne sait pas quoi dire, pas quoi écrire. Rien ne peut soulager le brouhaha de pensées qui m’agite. Parce qu’au fond, c’est toujours la même question qui revient, encore, encore, à laquelle il n’y a pas de réponse.

Comment mettre des mots sur toutes ces larmes ?

14 oct. 2010

Footing. - #12

Courir. Courir encore. Ne plus sentir ses membres sous l’effort. Le souffle qui s’emballe, le battement du cœur qui résonne dans ma cage thoracique. J’ai peur, je fuis. Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Je ne sais pas. Je fuis cet ennui qui me ronge, je fuis cette souffrance qui me consume, me détruit. Ma tête tourne, mon cœur bat dans mes tempes. Je vais exploser de douleur. Je ne peux plus respirer, mes jambes tremblent. Je cours. Je cours encore. J’ai peur. Peur de ce qu’il y a derrière moi. Je n’ose pas me retourner, je ne veux pas voir le danger. Je m’enferme dans mon ignorance et continue. Cours, cours. Cours encore. Ne pas s’arrêter. Le risque est pire que la mort. C’est se sentir vivre encore. Ressentir à nouveau cette lassitude de chaque instant. Cours, cours encore. Ne plus sentir son calvaire sous l’effort. Encore.

Mushaboom (VV Mix). Feist, Open Season. - #11

S’emplir de musique. Bouger, et sentir bouger le corps de l’autre contre le sien. C’est l’une des plus grandes jouissances sur Terre.
Les mouvement de nos bras synchronisés, nos pas s’électrisant, s’entrecroisant, sachant parfaitement où ils vont. La précision de nos délires sinueux nous font tourner la tête. Cette façon de perdre le contrôle avec cette puissance incroyable, je la désire si fort, que c’est mon corps entier qui la réclame, mon esprit n’ayant plus rien à dire. Chaque son qui résonne plus fort fait trembler mes membres d’un désir inconnu au commun des mortels. Nos peaux ne se collent pas l’une contre l’autre dans une autre fin que celle là même, le mouvement de nos corps à l’unisson, il n’y a que cela qui compte. Une énergie formidable parcourt mes veines, inépuisable, je suis toute entière avec toi, là, en cet instant précis. Il n’y a plus de temps, chaque seconde marquée d’une note puissante devient éternité, et il n’y plus que nous, ayant perdu la raison, deux sensibilités accrues au contact de l’autre. Nous ne sommes plus que deux animaux réduit à cette pulsion de mouvement incessant. Ton souffle résonne dans le mien, les battements de nos cœurs suivent le rythme de nos danses effrénées. Nos impulsions calculées s’accordent et nos frissons se rencontrent dans une étreinte passionnée, sans attirance, sans amour, sans sentiments. Juste ce besoin de bouger, encore, encore, faire trembler le sol de nos sauts périlleux de plaisir. Personne ne peut nous comprendre, on ne fait que nous contempler, ébahi du concert de nos corps en cadence. Cette transe formidable laisse coît le spectateur qui ne peut rien ressentir de tel. Et quand la musique s’éteint, nous redevenons l’un pour l’autre des étrangers, nos esprits ne comprenant même pas ce qui vient de se passer à leur insu.
S’emplir de musique. Bouger, et sentir ton corps bouger contre le mien. Il n’y a pas de plus grande jouissance sur Terre.

Miroir. - #10

Toi. Tu n’aimes pas. Tu aimes être aimée.
Moi. Je n’sais pas. Peut-être que je suis comme toi.
Des tourments incessants dans lequel tu aimes te complaire je ne suis que la plainte qui résonne au loin Les affres de ton discours se répètent inlassablement à mon oreille comme une litanie fourmillante qui me gratte Tout n’est qu’illusoire ta souffrance s’enlise dans les malheurs que tu te créé elle s’embourbe dans ce mensonge qui s’oublie et finit par se prendre pour la réalité D’ailleurs est-il mort ou bien l’as-tu rêvé ? Cette rose t’a-t-elle piqué le doigt ou bien Est-ce encore ce phantasme qui revient ?Cet être qui te manque tant a-t-il jamais existé ? Ou bien ne te manque-t-il pas justement parce qu’il a toujours été absent ? Tes délires je les contourne je crie jusqu’à te détruire les tympans ce que tu ne prends que pour un murmure Ta folie est sourde elle n’entend que tes vaines paroles qui s’enchaînent dans un fracas monstrueux Tes éclats de rire tes charmes et ta rhétorique engagée ne sont que masques au vide tumultueux qui te dévore Grignotée de toutes parts par les histoires que tu t’inventes tu n’es plus rien qu’un roman sans fin que bientôt plus personne ne voudra lire Ta tête se perd et se cherche tu ne trouve pas tes repères dans cet esprit empatouillé dans sa propre chimère
Toi. Tu n’aimes pas. Tu aimes être aimée.
Et moi. Je n’sais pas. Peut-être que je t’aime.
Toi ce moi que je voudrais enterrer dans son propre tombeau d’imaginaire Je te vomis de toute ma gourmandise maladive qui déborde de mon être épuisé par tant de virages La nausée le tournis dont tu me fais le manège sont infinis et je voudrais m’envoler par tant d’élans tourbillonnants Toi moi encore toi qui revient comme une vague qui m’écoeure de son sel Ne le pleure plus la rose ne te piquera plus il ne reste que tes souvenirs fantasmagoriques pour te consoler de la solitude dans laquelle tu te morfond
Toi tu n’aimes pas. Tu aimes être aimée.
Mais ce n’est pas toi que l’on aime. C’est seulement une fiction qui s’écroule dans sa propre tragédie.

Cigarette. - #9

Dans cet objet cylindrique qui se consume, je vois ma vie. Des années, des instants partent en cendres, écrasés de tout mon poids. Mon poids de futur cadavre. Je suis comme cette cigarette, je serais fumée par une grande dame élégante, des traces de rouge à lèvres sur mon mégot, doucement éteinte par une main aux ongles manucurés. Mon cœur sent déjà cette rigidité cadavérique, cette frigidité qui parcourt tous mes membres et s’insinue en moi . Mes membres mortels qui s’agitent, pour devenir enfin ce corps immobile, indolent.
Je vis pour mourir. Et je meurs, pour rester un être éternel, une sorte de vie suspendue. Un mégot enfoncé dans la terre comme une croix, symbole d’un au-delà salvateur auquel on aimerait pouvoir croire. Mais il n’en est rien, et la fumée dansante que je libère ne peut servir qu’à obscurcir ma vue un instant, instant de foi crédule, fugace autant que la fumée s’envole et se disperse dans les airs.

EGO. - #8

Dans une grande rue sombre, les lampadaires luisent d’une lumière blafarde. Mon ombre s’élance devant moi, majestueusement étirée. Elle avance à grand pas, noircie d’élégance. Je détourne la tête et voit un autre reflet, éclairé celui-ci, dans le rétroviseur d’une voiture cabossée. La vitre qui le voisine me renvoie un autre miroitement aussi difforme que fascinant. Je suis là. Partout. Un regard par-dessus l’épaule et me voilà furtivement à mes trousses. Je suis à même le sol, écrasée par mes propres pas. Mon moi illuminé dévoile ses facettes obscures, obscurcies par leu jeu des ampoules. Sous la lumière artificielle, un feu d’égos démultipliés s’embrase d’un orgueil formidable, et je m’aime, dans ma multitude enflammée.

9 juil. 2010

Bla. Bla. Bla. - #7

Il s’ennuie. Les diverses voix parlent sérieusement d’abréviations techniques et de trucs à la con. Leurs propriétaires pensent au salaire généreux et éphémère qui s’installera sur leur compte en banque à la fin du mois. Devenant berceuse, elles s’entremêlent et s’accrochent doucement à ses cils pour tirer ses paupières comme un rideau sur ses globes oculaires. Son menton se rapproche à folle allure de sa pomme d’Adam, il devient Eve et veut la croquer à pleine dent. La morsure douloureuse le fait sursauter, ses oreilles captent à nouveau les voix narcoleptiques qui usent de civilités hypocrites pour que les briques qu’ils vont entasser les unes sur les autres leur rapporte les quelques miettes de plus espérées à la fin de l’année qu’elles n’auront pas méritées. Il ne veut pas courir après ces miettes, lui, il veut réussir à chiper la miche de pain toute entière. Mais ses rêves se fracassent toujours durement à la réalité et il finit avec le ventre vide. D’ailleurs son ventre gargouille au moment où son rendez vous se libère enfin et peut le recevoir. Gêné, il se ressaisit vite, se répétant inlassablement la phrase fétiche. A table.

#6

Posté sur les hauteurs d’un échafaudage, je domine la foule parisienne. Je roucoule de tout mon orgueil avant de prendre mon envol, souillant au passage la blouse bleue d’un ouvrier fatigué. J’épie les riches assoiffés assis à la terrasse d’un café, frôle le cuir chevelu d’une femme décrépie par les années et atterrit là, dans cet havre artificiel qui veut donner la sensation d’ailleurs. Les hommes veulent toujours tricher. C’est bientôt l’heure du repas. Je m’approche d’une presque vieille femme qui semble s’ennuyer. Je lui adresse un roucoulement délicat, auquel elle répond par une miette de son sandwich. Puis une autre, et une autre. A chaque petit bout de pain, je lui montre ma gratitude par une envolée lyrique – et pigeonnesque. Elle me parle, comme si je pouvais comprendre. « Viens par ici, viens. Oui c’est bien, t’as drôlement faim dis donc ». Le pigeon serait-il apprivoisé ? Non, juste affamé. Une jeune fille assise près d’elle, étouffe un rire moqueur, pendant qu’une autre ne se soucie pas de la scène, trop occupée à se tapoter les genoux et à agiter la tête au rythme de la musique qui s’échappe de ses écouteurs, puis à se remaquiller dans le reflet de son miroir rose. Un perfecto en faux cuir bleu passe, et je regrette mon état primitif – naturel. La fille de tout à l’heure se met à chanter – faux – pensant que personne ne l’entend. J’augmente mes décibels roucoulantes afin de lui signifier qu’elle me dérange, avec ses fausses notes. Voyant que ma technique est inefficace, je m’éloigne et surprend alors la complainte d’une quadragénaire en crise. « j’ai dormi que 4h, mon dieu les bouffées de chaleur, quelle horreur, c’matin c’était un peu dur quand même ». Ouais, et bien moi, j’ai un moignon à la place de ma patte gauche, faudrait qu’ils arrêtent de se plaindre, ces êtres humains. Je vais voler un peu plus loin, admire un grain de beauté au coin du nez, fait tomber de mon battement d’ailes une petite fleur dans les cheveux d’une ravissante jeune femme. Une mamie toute de violet vêtue, porte une visière bleue, sur laquelle je laisse ma trace. Je vole, loin, loin, pour enfin me poser dans ce parc que j’affectionne tant. Des gens par dizaine, et toute leur nourriture gaspillée pendant les beaux jours. Le bonheur. Une jeune fille est assise sur les chaises aluminées de Luxembourg, seule. Une larme s’apprête à rouler le long de sa joue mais elle l’en empêche, psalmaudiant contre le vent qui fait couler son maquillage et dérange ses cheveux. Dans sa solitude émerveillée, enfumée d’une cigarette, je viens la déranger de mon chant. Un coup de pied. « Dégage ». Malgré sa beauté, son langage peu châtié lui sied mal. Je m’en vais alors, signifiant mon mépris par une souillure roucoulante déposée à ses pieds.

15 juin 2010

Qui suis-je ? #5

Fleur de tissu synthétique, je suis posée sur ton bureau. Mon violet violent attire ton regard. Violet. Violent. Viol. Vol. Volant. Objet tournoyant dans les airs lorsque tu me saisis et me déploies. Je fais onduler les reflets de lumière artificielle de ton plafonnier. Néon. Cette articulation mécanique provoque en toi des fantasmes de désarticulation. Mes membres inanimés réveillent tes délires arachnophobes. Un mouvement de poignet, et me voilà rabattu, rapidement, brusquement, comme un instinct de survie. Replié je me protège, déplié je te protège. Tu me fais danser au rythme de tes mouvement d’avant-bras et m’approche de ton visage. Tu respires mon odeur de plastique chimique qui te donne mal au crâne. J’empeste l’humain et sa toute puissance industrielle. Les pétales imaginés de cette fleur apprivoisée se resserrent à l’aide d’un bout de scratch agressif et rugueux. Amusée, tu veux jouer encore avec ce mécanisme intelligent, et à nouveau contempler le déploiement de mes ailes. Tu tire sur ce petit bout de scratch, collé à un autre. Lorsque les deux se séparent résonne la complainte crépitante à l’approche de l’absence déchirante imminente. Ce pan de tissu fonctionnel, si utile puis inutile et laid lorsque je m’ouvre, te dégoûtes. Je tourne une dernière fois, tu danse encore avec moi malgré le malheur que je suis censé apporter de par ma réputation. Puis, lassée, tu m’enferme une nouvelle fois dans ma propre peau de tissu, avant de me cacher dans mon écrin portatif. Ainsi, je suis relégué au fond de ton armoire, chassé par les beaux jours. Oublié, tu ne penseras à moi qu’à l’automne, lors du retour des gros nuages gris et des leurs larmes vachaires.

14 juin 2010

Plutôt putain que prude. #4

Une fille. Sa peau laiteuse. Ses grands yeux sombres. Sa bouche pulpeuse.
Elle l’observe, imagine la cambrure de ses reins sous la paume de ses mains. Elle ferme les yeux, respire doucement. Tente de chasser les folles idées qui agitent son esprit. L’imagination lui joue parfois des tours. Elle la maudit en silence, s'efforçant de détacher ses yeux de la jeune femme assise en face d’elle. Elle dévisage ses pieds, le sol crasseux de la gare. Une voix efféminée annonce l’arrivée en quai de son train qui avait pris du retard. Elle se lève, en même temps que cette fille, qu'elle frôle au passage. Elle la suit, épiant le wagon qu’elle choisit, et se force à ne pas monter dans le même. Durant tout le trajet, elle se concentre avec acharnement sur le livre dont elle ne comprend plus les mots qu’à moitié. Elle ne peut s’enlever son image de la tête.
Arrivée à destination, elle descend lentement de la rame, bousculée par une nuée d’hommes et de femmes pressées. Elle la voit, au loin, avancer tranquillement au milieu de la foule. Elle presse le pas, passe à côté d’elle. Irrésistiblement, au bout de quelques secondes, elle se retourne. Leurs regards se croisent, elle se dérobe, sentant une rougeur monter le long de son décolleté jusqu’à ses oreilles. Elle se sent soudain observée. Elle se tourne à nouveau, et se fait surprendre par le regard ferme de la jeune fille. Une lueur de défi, teintée d’un amusement insolent fait briller ses prunelles. Elle reste plantée là, paralysée, ne comprenant pas ce qui est en train de se passer. La fille passe le long de son bras, en douceur, et continue son chemin. Au loin, elle surprend l‘insulte d‘un petit gamin effronté lancée au visage de celle-ci. Et la voix de la fille, suave et sucrée, répondre avec fierté : plutôt putain que prude.

12 juin 2010

Hors-sujet. Ou litanie d'un pauv'clodo - du côté d'chez Rika.

Elle a pas voulu d’moi Ginette cette salope quelle salope. Elle est grosse la québécoise, allez voir sur internet vous verrez que c’est Rika la plus belle. Elle, elle est moche. Et grosse. Les femmes, ça m’énerve les femmes.
Madame, vous êtes lesbienne ?
Oh c’est juste une question… philosophique !
Maintenant les femmes sont toutes lesbiennes. J’en ai marre des femmes. Ou sinon vous êtes bi. Moi j’préfère les garçons.

Oh les beaux garçons !

Ils sont beaux ces garçons. Les surfeurs. Ils sont passés maintenant vous pouvez repartir.

C’est le raid israélien.
Ils sont plus en pantalon ils ont des pyjamas. Ils sont plus en pantalon ils ont des pyjamas. Ils sont plus en pantalon ils ont des pyjamas. Ils en parlent partout. Paris Match.
Et vous avez vu Sarkozy ? Et y’a Fillon aussi.

Oh arrêtez j’aime pas la violence.

Tu m’as dépouillé toi ! Saint Bernard ! Non j’suis pas un menteur. Je t’encule moi ! Heureusement que tu t’es pas fait enculer. En ce moment je t’offense.

Bon, j’vais voir ailleurs moi. Peut-être du côté d’chez Rika.

Pot & cie dans le bus. #3

Je tourne en rond. Rond point.
La musique résonne dans mes oreilles, je ferme les yeux. La chanson devient mienne.

Je suis une star montante, une étoile filante.

Je m’élance à toute allure sur le bitume dépassant les limitations de vitesse.

Quelle heure est-il ? - ai-je demandé avec paresse.

« Mais non il est 17h63, ça veut dire qu’il est 18h03. Mais si c’est possible, je le dis, crois moi ! »

Ma voix s’élève sur cette musique dissonante. Toujours l’étoile filante.

Une prière. La croix tombe de son chapelet. Mes collants s’effilent.

Sans père, une fille de joie à la vie dissolue, diluée - défile.

Loin d’être une religieuse. Mante. Mangeuse. D’hommes. Croqueuse. Ou bien croque-mort.

Knock knock knocking on heaven's door.

Déformation. Les mots tournent en rond. Comme un poisson.

Saviez-vous qu’un miroir dans le bocal d’un poisson rouge et le poisson meurt d’un orgasme, trop forte jouissance inconnue de s’être vu ?

Peut-être Narcisse a-t-il jouit ?

Je tourne en rond la Terre tourne la Terre est ronde ma tête tourne je n’suis plus d’ce monde.

L’étoile est devenue géante rouge. Comme le soleil elle brûle. En apesanteur et plus rien ne bouge. Elle et l’univers copulent.

Elle va tout détruire sur son passage. Mais pour l’instant je tourne en rond.
Rond point. Passage. Piéton.

11 juin 2010

Meurtre dans la cuisine. #2

Je suis assise, là, sur ce petit bout d’herbe dans mon grand jardin. De petits nuages rondouillards protègent ma peau diaphane du violent soleil. Un café, une cigarette. Des dents pas encore jaunies par le tabac, et déjà quelques rides d’expression. Je penche la tête en arrière et souris. Inspire, expire, éternue. Saleté de rhume des foins. Mon thé à la cerise est trop sucré et le vrombissement d’une abeille me gratte les oreilles. Tout ne peut jamais être idyllique. Je me lève furieuse, entre dans la maison. L’abeille me suit jusque dans la cuisine. Mon cœur bat de plus en plus vite, au rythme de son bruit insupportable. Irritable que j’étais, je suis très irritée, par l’inconvenance de cette insignifiante bestiole. Me précipitant sur un torchon, l’arme du crime, je fais tomber quelques pièces de monnaie. Un bruit de clochette tinte - comme les cloches du jugement dernier. Le bourdonnement s’est tu. Le silence assourdissant m’hypnotise et je retourne à ma retraire exilée dans l'illusion de la nature, admirant le champ de coquelicots qui s’illumine du sang de ma victime.

Nue. #1

Cette fille est nue, au milieu de la foule.
Cette horde parisienne qui se presse et s’empresse passe le regard dans le vide sans même la voir. Les deux pieds campés dans le sol, elle se sent comme une enfant en pyjama dans la cour de l’école. Cette angoisse puérile qui se révèle en plein sommeil, elle la ressent si profondément, là, devant la masse infinie de plumes, d’hommes d’affaire, de portables, de cheveux blancs, de lunettes, de barbes rousses, de doubles mentons, de foulards violets, d’oreilles, de sacs et de nez.
La chaleur effleure sa peau, elle est fauve. Et très jolie. Une tâche brunâtre dans le creux de sa nuque, ronde comme un ballon. Un ballon qui s’envole, et explose. Le réveil est brutal, elle n’est plus en pyjama, mais dans sa solitude déshabillée en plein milieu des escaliers. A côté d’elle, une barrière, un panneau rouge "attention risque de chute". Comme un signe, les restes du ballon déchiqueté retombent sur le sol. Un lent mouvement de vent, un peu comme on respire, les fait virevolter encore un instant. Dans sa course, un homme la remarque et trébuche. Il devient tout à coup sérieux, s’arrête à quelques pas d’elle, se frotte le front puis regarde sa montre. Un soupir, un échange et le voilà qui s’engouffre à nouveau dans la bouche de métro. Maladresse, il est revenu sur ses pas, parti dans la mauvaise direction. Plus tard, une jeune coquette rouge, une vraie œuvre d’art, se poste devant elle. Elle se tourne les pouces, s’ennuie, cligne des yeux puis s’en va, dépliant son éventail, pleine de grâce. Un homme en tailleur, avec un foulard rouge dans la poche de sa veste bleue marine, tripote le stylo qu’il tient dans sa main gauche en murmurant sa litanie.
Un bras, une veste, une main, des bouts de corps oubliés passent en vacarme, pendant que pèse de tout son poids silencieux la nudité dévoilée.
Une femme soudain, s’arrête avec surprise, un grand sourire au creux des joues. Elle réajuste ses lunettes, sur son bout de nez crochu, puis pointe timidement le bout de son index contre l’épaule de la jeune femme."oh, mais j’ai cru que la demoiselle était un mannequin !".
A cela, sans un mot, elle ajoute sa chemise tendue à bout de bras, qu’elle vient d’ôter délicatement de sous son gilet ouvert.
Une chemise blanche de pureté, recouvre bientôt la jeune farouche qui n’est plus dévoilée.